Depuis des millénaires, les parents du monde entier portent leurs enfants. Se déplacer tout en préservant le contact avec son enfant, que ce soit par choix ou par nécessité, est universel. Le portage transcende les cultures et les époques.
Dans un monde moderne où le rythme de nos vie s'accélère, le portage fait un retour en force. Effet de mode ? Pas seulement.
C'est vrai, le portage séduit de plus en plus de parents grâce à des accessoires ergonomiques, pratiques et esthétiques qui leur permettent de profiter de moments collés-serrés avec leur bébé. Mais le portage est une pratique universelle qui a de nombreux bienfaits. Notre petit doigt nous dit que cette mode-là n'est pas prête de passer...
De la Préhistoire au Moyen-âge : les origines du portage
Le portage trouve ses origines avec l’aube de l’humanité et les premiers bipèdes (bien qu'on en observe déjà certaines formes dans le monde animal).
Les mères - ou parfois d'autres membres d’une même tribu - portent alors les nouveau-nés par nécessité avant tout : en hauteur, les bébés fragiles échappent au froid et aux éventuels prédateurs.
Porter son enfant permet aussi de se déplacer sur de longues distances, à une époque où poussettes et landaus n'existent pas... Les tout-petits sont portés dans les bras ou sur le dos, parfois contre une peau de bête pour que l’enfant puisse s’y accrocher et rester au chaud.
À chaque culture sa méthode de portage
Dans différentes régions du monde, le portage prend des formes variées. En Afrique, les mères utilisent souvent un simple pagne qu'elles nouent autour de leur corps pour porter leur enfant contre elles, souvent sur le dos.
En Amérique du Sud, des peuples comme les Mayas ou les Quechuas ont développé des méthodes de portage uniques. Le rebozo, une écharpe traditionnelle, est utilisé pour porter l'enfant contre le torse ou sur le dos.
En Asie, notamment en Chine et au Japon, des méthodes comme le mei-tai, un porte-bébé à lanières, ou encore les écharpes tissées, se sont transmises de génération en génération.
Chaque culture adaptant le portage à ses besoins spécifiques, à son environnement et aux moyens à sa disposition. Le portage avait également une dimension symbolique forte. Dans de nombreuses cultures, le portage est un marqueur d'appartenance culturelle et communautaire. Les étoffes utilisées, les techniques de nouage, voire la manière dont l'enfant était porté (sur le dos, sur le ventre, sur la hanche) sont propres à chaque groupe ethnique ou région. Ce savoir-faire unique renforce le sentiment d'identité et de continuité culturelle, il se transmet de génération en génération.
Le portage est ainsi bien plus qu'un simple outil fonctionnel : il incarne un mode de vie, une philosophie de parentalité et un lien profond avec la communauté.
Le tissu : les premiers porte-bébés prennent vie
Avec l’apparition des premiers tissus, on voit apparaître les précurseurs des porte-bébés. Ils diffèrent selon les cultures et les périodes de l'Histoire mais répondent tous au même besoin : permettre au porteur d’avoir les mains libres et de se déplacer facilement tout en maintenant le bébé en sécurité.
Le tissu facilite la tâche aux adultes et permet de garder le bébé au chaud.
Au Moyen-Âge encore le portage est largement pratiqué, notamment pour pouvoir travailler sans laisser le bébé sans surveillance. À l’époque, c’est encore le seul moyen de se déplacer avec le bébé pour aller au marché, en ville, ou encore en pèlerinage.
Et oui, les poussettes ne font pas leur apparition avant 1733 ! On utilise alors des porte-bébés en tissus ou en bois sécurisés par des sangles pour garder les mains libres (du moins, suffisamment libres pour porter les récoltes ou quelques emplettes).
XVIIe et XVIIIe siècles : le portage par les nourrices
Peu à peu, autour de la Renaissance, les nourrices font leur apparition dans la société occidentale, notamment en France. Les riches familles embauchent des domestiques qui vivent chez elles pour élever les petits et les moins aisées déposent leurs enfants chez la nourrice pour la journée.
C'est un tournant majeur pour le portage où l’on constate une réelle séparation entre les enfants et leurs mères. Cette séparation est également accentuée par l’invention des premiers berceaux qui délogent les enfants du lit parental.
À cette époque, les jeunes enfants passent le plus clair de leur temps avec leur nourrice et sont même la plupart du temps allaités par elle ! En 1780, on estime que seuls 1 000 enfants sur les 21 000 nés à Paris ont été allaités par leur mère (voir cet article). Car oui, le travail de nurse était pratiqué par des femmes qui venaient elles-mêmes de donner naissance et qui étaient donc aptes à allaiter les enfants des autres.
À cette époque, le portage est encore à la mode, mais est plus souvent l’œuvre des nourrices que des parents, ce qui diminue certains bienfaits de cette pratique.
La nourrice : une solution miracle ? Pas si sûr...
Assez rapidement, le recours aux nourrices est fortement critiqué par quelques grands auteurs de l’époque (notamment Guy de Maupassant, Honoré de Balzac et Emile Zola). Et pour cause, on remarque une forte hausse de la mortalité infantile chez les enfants placés chez une nourrice.
On peut expliquer cela par le traitement que recevaient les enfants lorsqu’ils étaient transportés jusqu’aux nurses et pensionnats hors de la ville (ils étaient souvent soumis au froid et à la faim, entassés dans des voiturettes ou des trains), par l’alimentation (par manque de lait maternel, les nourrices choisissaient de les nourrir avec du lait animal ou des bouillies inadaptées aux nouveau-nés), ou encore par de piètres conditions d’hygiènes et trop peu de consultations chez le médecin.
Mais alors pourquoi cet engouement pour les nourrices ?
Contesté ou pas, le recours généralisé aux nourrices s’étend sur plus de deux siècles, et même encore aujourd’hui - bien que, fort heureusement, les conditions ont évolué.
Pour les familles aisées, c’était généralement un signe de richesse. Pour les plus modestes, il s'agit de faire garder l’enfant pour pouvoir travailler et nourrir sa famille... et procréer. Rappelons qu'à cette période de l'Histoire, la femme était excusée de son devoir marital tant qu’elle allaitait. Mais en l’absence de l’enfant, le couple pouvait - devait - reprendre ses activités. On imagine que ça arrangeait bien certains maris...
XIXe siècle : l'autonomie portée aux nues
Arrive le XIXème siècle et ses pensées nouvelles : on encourage à présent les mères à laisser leurs enfants grandir en autonomie, argumentant que c'est mieux pour leur développement.
La psychanalyse influence les parents en suggérant qu’un excès de proximité physique pourrait freiner le développement autonome de l’enfant. On préconise d'apprendre à l’enfant à se détacher de ses parents pour gagner en indépendance.
De plus en plus, le portage est perçu comme une pratique dépassée. C'est l'époque de la révolution industrielle durant laquelle les femmes sont appelées à travailler en masse. N’ayant que peu de temps à accorder à leur foyer, elles font alors le choix de confier leurs enfants à des nourrices la plupart du temps.
De plus, la question de l’allaitement maternel et des problèmes qu’il pouvait engendrer ne se pose plus grâce à l’invention du premier lait maternisé en 1848.
Le choix du pratique et de l'efficacité
Un nouvel obstacle se dresse pourtant face à la pratique régulière du portage : la démocratisation du landau et de la poussette. Avec eux, plus besoin de porter les enfants durant les divers déplacements. C'est un nouveau coup porté à la proximité entre la mère et son petit.
Dans les grandes métropoles en pleine expansion, le rythme de vie s'accélère, les espaces de vie se réduisent, et l'idée de "libérer" le parent se popularise : la praticité prend le dessus.
Avec ces moyens de transport modernes, le portage se fait de plus en plus rare et devient même synonyme d’une grande pauvreté. Seuls les membres des classes les plus basses de la société le pratiquent encore régulièrement par nécessité, faute d'argent.
XXe siècle : le début des recherches scientifiques autour du bien-être de l'enfant
Les évolutions - et révolutions - se poursuivent et des études sont menées par nombre de scientifiques. Au début des années 1900, certains travaux parlent encore de séparer les bébés des mères, l'indépendance du nourrisson est recommandée.
Les médecins conseillent et se contredisent, rien n’est réellement définitif. C’est également l’essor des produits de puériculture : les chaises hautes, gigoteuses et autres poussettes, plus légères et pratiques que leurs ancêtres, font leur apparition et révolutionnent le marché.
Il faut attendre les années 1970 pour que les recherches scientifiques s’intéressent réellement au développement de l’enfant et aux causes des taux importants de mortalité infantile - mais surtout, pour qu’elles trouvent de vraies solutions.
La méthode kangourou : les débuts du peau à peau
La première méthode adoptée et recommandée par les médecins est la célèbre “méthode kangourou” qui a vu le jour en 1978 à Bogota, en Colombie. Dépassés par le manque de couveuses à disposition pour les nouveau-nés prématurés ou trop petits, les docteurs Edgar Rey Sanabria et Martinez posent les enfants sur la poitrine nue de leur mère et les recouvrent avec une couverture. On conseille même aux mères de porter leur nouveau-né dans une sorte de poche ventrale qui sert d’incubateur naturel.
Des études démontrent que la proximité a un réel impact sur le taux de mortalité infantile : ce dernier diminue, de même que le taux d’infections et que la durée de l’hospitalisation ! On remarque également que les enfants ayant eu recours à la méthode kangourou ont une meilleure stabilité respiratoire, une meilleure régulation de leur température et même un meilleur sommeil. Rapidement, cette méthode est utilisée dans d’autres hôpitaux et s’étend au-delà de l'Amérique du Sud, améliorant les conditions de vie des nouveau-nés.
Durant cette même période, en Allemagne, Erika Hoffman créé l’écharpe de portage moderne en s’inspirant des méthodes mexicaines pour porter ses deux jumelles. Grâce aux nouvelles recherches sur le sujet, le portage connaît un regain de popularité et se démocratise peu à peu dans toute l’Europe.
Les chercheurs sur le sujet comprennent que la position verticale et en M est physiologique. Elle est plus sûre pour le développement du bébé, tant sur le plan physique que cognitif.
C’est dans cette dynamique que les porte-bébés physiologiques tels que nous les connaissons font leur apparition.
XXIe siècle : un regain d'intérêt pour le portage
Depuis les années 70, le portage a connu un véritable renouveau en Occident, sous l’impulsion du mouvement du maternage proximal. Ce courant prônait un retour aux pratiques naturelles et instinctives de la parentalité, mettant en avant l’importance du contact physique, de l’allaitement prolongé et de la proximité avec l’enfant.
De plus en plus de parents cherchent à renouer avec des méthodes ancestrales de soin des bébés pour recréer un lien plus intime, loin des écrans.
Les recherches scientifiques sur l’attachement et le développement cérébral ont démontré que le contact physique régulier entre le parent et l’enfant favorise le développement émotionne et neurologique de l’enfant. La proximité avec le parent aide à réguler le stress, améliore le sommeil, et joue un rôle clé dans la construction des circuits neuronaux liés à la sécurité et à la confiance.
De nouvelles méthodes de portage : un marché qui se développe
De nouveau, les modèles et les méthodes de portage se sont multipliés en Europe : écharpes à nouer, écharpe à anneaux, porte-bébé onbuhimo ou bandeaux, peau à peau… Le portage s’adapte à tous les âges et tous les besoins !
Il ne séduit d’ailleurs pas que les mamans. Les papas se mettent également au portage, de même que d’autres membres de la famille, y compris les plus jeunes grâce aux porte-poupons.